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Sous le signe de la hausse des taux et de la pénurie

Le vent a tourné sur le marché immobilier suisse: locataires et propriétaires sont confrontés à une augmentation des coûts et l’attrait pour les investisseurs a diminué. La hausse des taux d’intérêt a mis fin à une phase d’essor extraordinairement longue, souvent qualifiée de supercycle – une longévité qui s’explique par la succession de différents éléments ces dernières années, comme les taux négatifs (2015), la conjoncture étonnamment robuste (2018) ou encore la poussée de la demande dans le sillage de la pandémie de coronavirus (2020).

Dans les années à venir, cette hausse des taux va priver le marché d’une bonne partie de son dynamisme, qui jusqu’à peu permettait aussi de compenser bon nombre d’erreurs de conception, de commercialisation et de gestion des biens immobiliers. Contrairement à l’étranger, le marché immobilier helvétique traverse toutefois juste un processus de normalisation, et ne risque a priori pas de basculer.

L’on pourrait parler d’atterrissage en douceur, sous réserve que les corrections de prix – que nous attendons dans les prochaines années – restent raisonnables. Deux facteurs font de la Suisse une fois de plus un cas à part: premièrement, l’inflation dans notre pays ne représente qu’une fraction de celle mesurée à l’étranger, ce qui entraîne des relèvements de taux moins drastiques.

Le deuxième facteur est «fait maison». Il s’agit de l’atonie presque exaspérante de l’activité de construction, qui va bientôt entraîner le même genre de pénurie sur le marché des logements en location que sur celui de la propriété. La diminution désormais inévitable de l’offre de logements va inéluctablement entraîner les loyers à la hausse – au grand dam des locataires.

Pour les investisseurs, l’augmentation des loyers devrait en revanche partiellement compenser la correction des valorisations des immeubles résidentiels qui s’annonce. Seule ombre au tableau, avec la pénurie, les voix exigeant une réglementation plus stricte vont sans doute se multiplier.

La pénurie dope les prix

La hausse des taux d’intérêt a entraîné un net recul de la demande de logements en propriété. Le récent envol des prix fait de plus en sorte que la part des ménages pouvant se permettre d’accéder à la propriété a encore diminué. La demande en berne rencontre donc depuis plusieurs années une offre limitée et une pénurie d’objets disponibles. Mais comme l’activité de construction neuve continue de baisser, le marché ne bascule pas en situation de suroffre. Si la perte d’attractivité des investissements locatifs va sans doute faire augmenter le nombre d’objets disponibles par rapport à l’année précédente, l’activité de construction à plancher record n’entraînera que progressivement un allongement des délais de commercialisation. La croissance des prix devrait donc fortement ralentir en 2023, mais ne devenir négative que l’année suivante. La combinaison d’augmentation des taux et de prix élevés dans l’immobilier entraîne tout simplement une hausse trop importante des coûts, ce qui pèse sur la demande dans des proportions telles que les corrections de prix deviendront inévitables. Ces dernières devraient toutefois rester raisonnables, puisque l’offre durablement restreinte limite considérablement la marge baissière.

Iceberg droit devant!
Le marché du logement en location suisse a connu un renversement total de la tendance. Le temps de la suroffre est révolu et l’on parle déjà de pénurie. Le principal motif de ce revirement est l’activité de construction, qui s’inscrit en repli depuis 2016/2017. Pourquoi le nombre de logements construits est-il insuffisant? Répondre à cette question n’est pas simple, mais le changement de paradigme en matière de développement territorial semble à nos yeux le principal facteur. La loi sur l’aménagement du territoire révisée complique à juste titre le classement de terrains en zone à bâtir, puisqu’une majorité d’électeurs s’était prononcée à plusieurs reprises contre une poursuite du mitage. Mais la densification, qui devait se substituer au zonage de nouveaux terrains et garantir la création de suffisamment d’espace d’habitat, est trop souvent entravée. Possibilités de recours disproportionnées, conflits d’intérêts entre densification et protection du patrimoine et lutte contre les nuisances sonores ainsi que les procédures d’autorisation interminables freinent
ainsi l’activité de construction. Les mesures d’accompagnement qui pourraient soutenir l’effort de densification font défaut ou agissent trop lentement. Une action rapide serait nécessaire pour éviter une réelle urgence en matière de logement, mais comme il faudra réviser les lois ad hoc, l’amélioration ne se fera au mieux ressentir que dans plusieurs années. Le risque de pénurie de logements devrait en outre s’inscrire en soutien des revendications exigeant une régulation plus stricte du marché, comme à Genève ou Bâle, même si de tels durcissements ont souvent tendance à encore aggraver les problèmes.

Les locataires ont cédé la barre
La demande de logements en location a encore augmenté l’année dernière, notamment sous l’impulsion de la plus forte immigration recensée ces huit dernières années. Le solde migratoire va sans doute rester élevé dans les années à venir du fait de la pénurie de main-d’oeuvre qualifiée et les logements locatifs seront donc très recherchés en dépit de la dégradation conjoncturelle en 2023. Contrairement à la demande, l’activité de construction s’inscrit toujours en repli et aucune inversion de la tendance n’est en vue. Le nombre de logements réalisés est trop faible dans la plupart des régions. Les taux d’offre et les durées d’annonce en baisse rapide révèlent sans ambages que les bailleurs sont en train de reprendre la main sur le marché et toute amélioration rapide de la situation semble improbable au vu de la hausse des taux d’intérêt et des prix de la construction. Le taux de vacance dans le locatif devrait donc continuer à reculer, tandis que les loyers vont fortement augmenter.

L’or en béton perd de son éclat
Les placements immobiliers ne sont plus le seul choix possible depuis la hausse des taux initiée en 2022. Le différentiel de rendement par rapport aux emprunts de la Confédération à 10 ans a fortement baissé et s’inscrit en dessous de sa moyenne à long terme. En fonction des attentes inflationnistes de l’investisseur et du potentiel de répercussion, le repli réel de l’écart de rendement se révèle toutefois plus modeste, parce que les placements immobiliers offrent, en fonction du segment d’affectation, une protection partielle, voire presque intégrale, contre l’inflation. Cela dit, les placements immobiliers ont néanmoins perdu leur aura d’irremplaçabilité. De plus, il faut s’attendre à ce que les taux d’escompte augmentent dans le courant de l’année 2023, et donc à une pression accrue sur les valorisations des immeubles de rapport. Les valorisations résisteront mieux à cette pression si les revenus locatifs nets augmentent. Or, les perspectives se révèlent réjouissantes en la matière, surtout dans le segment résidentiel. La tendance à la raréfaction sur le marché du logement en location se traduit en effet par une hausse des loyers proposés. Cette évolution se manifeste aussi dans les portefeuilles des investisseurs institutionnels, où les pertes de revenu locatif généralement liées aux vacances ont été divisées par deux en seulement trois ans. Grâce au relèvement du taux de référence attendu cette année, il sera en outre possible avec un certain décalage de répercuter une partie de l’augmentation des coûts d’emprunt et de l’inflation sur les locataires. La stabilité économique de la Suisse et l’évolution positive des marchés d’utilisateurs préserveront donc les placements immobiliers d’un atterrissage brutal.

(Source Credit Suisse Group AG)​​​​​​​