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Points de repère dans la jungle du droit de superficie

Bien que le droit de superficie (DDP) ait gagné en importance ces dernières années, les paramètres du contrat de droit de superficie et leurs conséquences économiques à long terme sont mal connus. L’étude «Le droit de superficie sous la loupe» initiée par la faîtière coopératives d’habitation Suisse tente de combler ce manque de repères. Notamment du point de vue du DDP d’utilité publique, où l’étude montre que les restrictions relatives au loyer à prix coûtant ou à l’occupation minimale justifient une rente de droit de superficie plus basse.​​​​​​​​​​​​​​

Conclure un contrat de droit de superficie, c’est un peu comme s’en remettre aux prévisions d’une boule de cristal. Dans les deux cas, il s’agit d’interpréter l’avenir.

Deux tiers de tous les contrats de droit de superficie courent sur 70 ans ou plus.

Durant cette durée, le superficiaire (propriétaire de l’ouvrage construit sur le terrain grevé d’un droit de superficie) a le droit de construire sur le terrain mis en DDP.

En échange, il paie une rente de DDP au superficiant (propriétaire foncier concédant un droit de superficie sur son terrain).

Mais comment prévoir l’évolution de cette rente à long terme? Comment tenir compte du renchérissement ou des variations des taux?

Faut-il indexer la rente à l’évolution des loyers ou même à celle du prix du terrain? Seul un regard rétrospectif peut clarifier la chose.

Prenons l’exemple d’un contrat de DDP conclu voici 40 ans :

Si on avait indexé à l’époque la rente de DDP à 100% de l’évolution du prix du terrain, la rente aurait été multipliée par 7 au cours du temps.

Mais si on l’avait indexée sur les taux hypothécaires, la rente aurait diminué de deux tiers au cours du temps.

Dans la première variante, la rente de DDP est donc 20 fois supérieure à celle de la deuxième variante  bien que la rente DDP ait été conclue sur le même niveau il y a 40 ans.

Cet exemple montre à quel point les DDP sont des questions complexes et délicates, et leur agencement concret peut avoir d’énormes conséquences, autant pour le superficiant que pour le superficiaire.

Point de vue économique sur les DDP

Bien que les DDP ont gagné en importance ces dernières années, il n’existe que peu de documents explicitant les divers paramètres composant un contrat de DDP, ainsi que les conséquences économiques à long terme pour superficiant et superficiaire. La faîtière coopératives d’habitation Suisse a donc demandé à l’Office fédéral du logement de faire réaliser une étude à ce sujet. Les résultats sont là.

L’étude «Le droit de superficie sous la loupe» menée par Wüest Partner a abordé la question sous un angle économique. Elle décrit les principaux paramètres d’un contrat de DDP et présente divers modèles de DDP. L’étude a permis de comparer divers assemblages de contrats de DDP et de calculer les conséquences selon les différentes évolutions possibles des contextes économiques. Wüest Partner a ainsi créé un modèle macroéconomique permettant de générer 5000 scénarios et de déterminer pour chaque scénario un DDP exemplaire.

Indexer la rente du droit de superficie aux loyer

Le montant de la rente évolue au cours de la durée du contrat, parce qu’il est en général indexé à un ou plusieurs des facteurs suivants: taux hypothécaire, index suisse des prix à la consommation, prix du terrain, loyers.

Le graphique ci-après montre comment ces facteurs ont évolué au cours des 40 dernières années. L’indexation à des facteurs externes simples à mesurer comme l’inflation, les taux hypothécaires ou l’index suisse des prix à la consommation a l’avantage d’être claire et transparente, et a un faible risque de conflit.

Mais le problème, c’est que ces trois facteurs n’ont qu’un lien indirect avec les rendements de l’immeuble. Dans le contexte actuel de taux d’intérêt extrêmement bas, une indexation aux taux d’intérêt ou à l’inflation n’est pas attractive: tous deux ne peuvent guère baisser et risquent bien au contraire d’augmenter fortement à l’avenir.

Comme les terrains constructibles sont de plus en plus rares, on peut penser que leurs prix vont augmenter encore plus fortement que jusqu’à aujourd’hui. Reste donc encore l’indexation aux loyers.

Celle-ci a l’avantage d’avoir un lien relativement direct avec le rendement de l’immeuble. La modélisation de Wüest Partner – les 4 facteurs d’indexation décrits plus haut ayant été testés par type de DDP selon divers scénarios – confirme ces réflexions.

Les résultats montrent clairement qu’une indexation de la rente du DDP au loyer théorique est une bonne solution – le loyer théorique des maitres d’ouvrage d’utilité publique étant le loyer à prix coûtant.

L’étude a également clairement établi que l’indexation aux taux hypothécaires actuels n’était pas du tout avantageuse. Et c’est encore pire pour le superficiaire en ce qui concerne l’indexation au prix du terrain, le total de rentes étant alors nettement supérieur à la valeur de l’achat d’un terrain.

Charge supportée d’un DDP en comparaison d’un achat

Une somme de rentes des DDP supérieure au prix d’achat pose problème pour les maitres d’ouvrage d’utilité publique, car, conformément à l’article 4 de l’Ordonnance sur le logement (OLOG), lorsqu’il y a un droit de superficie, l’aide fédérale n’est accordée que si, à long terme, la charge supportée ne dépasse pas celle qui serait supportée en cas d’achat du terrain.

Mais comment savoir aujourd’hui à combien se montera la somme des rentes de DDP dans 70 à 100 ans? Pour disposer d’une base de décision, on calcule la contre-valeur actuelle (valeur actualisée) de toutes les futures rentes à payer. Cette méthode, appelée Discounted Cash Flow Method, a été utilisée par Wüest Partner pour ses modélisations.

Si les rentes du DDP évoluent de façon très désavantageuse pour le superficiaire, ce dernier se voit contraint de réduire au minimum l’entretien de l’immeuble et les investissements, ce qui n’est bon ni pour le superficiaire ni pour le superficiant. Il est donc important pour les deux parties de se donner des règles équilibrées. Afin d’assurer la soutenabilité de la rente pour le superficiaire, les auteurs de l’étude recommandent d’inclure dans le contrat une clause de sauvegarde pour se prémunir contre les mouvements imprévisibles des facteurs d’indexation. Si la rente de DDP est indexée aux revenus des loyers, une telle clause est superflue.

Indemnité de retour : 90% de la valeur de base de l’immeuble

Une indemnité de retour élevée est un bon incitatif pour investir dans l’entretien d’un immeuble, en particulier vers la fin de la durée du DDP.

Les auteurs de Wüest Partner recommandent ainsi une indemnité de retour d’environ 90%, que ce soit sur la base de la valeur d’alors du bâtiment ou éventuellement sur la base de la valeur initiale du bâtiment à laquelle viennent s’ajouter les investissements réalisés qui créent des plus-values.

Une indemnité de retour élevée améliore les possibilités de financement des rentes, tout comme une longue durée de DDP. Il faudrait en tous les cas veiller à ce que les contrats de DDP soient définis de la manière la plus simple et transparente qui soit, car cela contribue à réduire les possibilités de conflits. Il ne faut en effet pas oublier que les contrats de DDP survivent de plusieurs décennies à leurs auteurs.

Maîtres d’ouvrage d’utilité publique: des rentes réduites sont parfaitement justifiées

L’étude porte une attention toute particulière aux DDP avec des maîtres d’ouvrage d’utilité publique. Les auteurs de l’étude ont notamment examiné comment les conséquences des nombreuses contraintes auxquelles les coopératives sont exposées influent sur les rentes à payer. Et ils en concluent que les restrictions liées notamment aux loyers à prix coûtant et la construction de surfaces dédiées à des usages publics avaient une forte influence sur la valeur des rentes.

Les prescriptions en matière de standards énergétiques, de taux d’occupation minimale ou de logements conformes aux besoins des seniors limitent également l’usage ou demandent des prestations supplémentaires justifiant une rente de DDP moins élevée. Selon les auteurs de l’étude, «une rente de droit de superficie réduite ne doit pas être mise en soi sur un pied d’égalité avec une subvention du superficiaire». Du logement à loyer abordable, des surfaces pour des jardins d’enfants, des centres de quartier, des logements de secours ou encore des œuvres d’art publiques représentent des «biens publics» dont le marché libre ne produit pas suffisamment selon les collectivités publiques.

En octroyant un DDP plus avantageux, le superficiant – dans la plupart des cas les collectivités publiques – finance la caractérisation du domaine création de ce bien public. En construisant des logements loués à prix coûtant, les collectivités publiques économisent à long terme des deniers publics en économisant sur les dépenses d’aides sociales. Si le superficiant est une commune, s’ajoute encore un autre facteur: les communes peuvent se refinancer très avantageusement et elles bénéficient d’un risque d’investissement très bas, car le risque des revenus des loyers est presque toujours du ressort du superficiaire. Un DDP constitue donc un bon investissement pour les collectivités publiques, même avec une rente relativement basse.

Il reste du pain sur la planche

L’étude «Le droit de superficie sous la loupe» offre des directives utiles aussi bien pour les superficiants que pour les superficiaires. Mais bien des questions restent en suspens. Quelles valeurs clés concrètes sont susceptibles de garantir un contrat équilibré? Quelles sont les conditions permettant de garantir que la charge du DDP ne dépasse pas à long terme la valeur de l’achat d’un terrain?

Il reste là encore des choses à clarifier, mais sur la base des résultats de l’étude, l’OFL et les associations faîtières des maitres d’ouvrage d’utilité publique pourront œuvrer à trouver les réponses à ces questions.

En attendant, «Le droit de superficie sous la loupe» est disponible sur le site de l’OFL

(Source Lea Gerber)